12/03/2013

Notes de lecture du mois de mars


Dimanche soir

En ce chaud mois de mars, j'ai envie de relire le rafraîchissant Livre du thé d'Okakura Kakuzô (je viens de terminer Fuji San de Jacques Roubaud, un bref et délicieux texte sur la poésie japonaise, le mono no aware (le sentiment des choses) et le mont Fuji, et tout ça m'a donné soif de culture nippone).

Je voudrais aussi lire :

- Les Frères Ashkenazy et D'un monde qui n'est plus, d'Israël Joshua Singer, parce que j'ai relu récemment Un jour de plaisir, un des plus beaux livres qui soient, et qu'Isaac Bashevis Singer, l'auteur, y parle beaucoup de son grand frère Israël Joshua.
- Les années d'Annie Ernaux, parce que je pense que ça pourrait me plaire.
- Un livre de Daniel Tammet, n'importe lequel, je pense que vous comprendrez pourquoi en lisant cet article.
- Le livre de la journaliste Barbara Demick sur la Corée du Nord, Nothing to envy: Ordinary Lives in North Korea ; (Puisqu'on est dans le sujet, j'aimerais dire ici que je n'ai pas trop aimé la partie du Lièvre de Patagonie où Claude Lanzmann raconte sa folle histoire d'amour avec une infirmière nord-coréenne, à Pyongyang, à la fin des années 1950. Ça donnait vraiment l'impression d'une grande immodestie.)
- ce livre sur Jan Karski ; après avoir lu celui de Yannick Haenel et Story of a Secret State (le livre que Jan Karski a écrit en 1944), j'ai envie d'en savoir plus sur cette personne si remarquable et admirable et sur la résistance polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.

Luise, Lotte et Minoes

J'ai lu récemment mon premier livre en allemand et en ai été ravie. J'avais choisi un roman d'Erich Kästner que j'adorais enfant et ça s'est très bien passé : j'ai presque tout compris et surtout, malgré mon niveau faiblard, j'ai apprécié le charme de l'écriture, les tournures élégantes et le délicieux humour linguistique de Kästner. ça m'a rappelé une expérience similaire il y a quelques années en lisant Minoes de la géniale Annie M.G. Schmidt, en néerlandais. D'ailleurs, pour votre plaisir uniquement, en voici un long extrait :

[Minoes, chatte devenue jeune fille après avoir mangé des trucs bizarres dans une poubelle, rencontre des difficultés d'adaptation et se rend chez une sorte de psychanalyste, à la demande de son patron.]

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— Votre nom, s'il vous plaît ? demanda le docteur.
— Mademoiselle Minouche.
— Minouche, c’est votre nom de famille ou votre prénom ?
— C’est mon nom usuel, dit Minouche.
— Donc votre nom de famille, c'est quoi ?
Elle se tut un instant, suivit du regard une mouche qui bourdonnait sur la fenêtre puis déclara : « Je crois que je n’en ai pas. »
— Comment s’appelait votre père ? demanda le docteur.
— Le rouquin d’en face.
— Eh bien, vous portez donc son nom.
Le docteur écrivit sur une fiche : « Mademoiselle Minouche Lerouquin d’Enface. »
— Bon, racontez-moi vos problèmes.
— Mes problèmes ? Mais je n’en ai pas !
— Pourtant vous vouliez me parler. Il doit bien y avoir une raison ?
— Ah oui, mon patron dit que je suis trop chatte.
— Trop quoi ?
— Trop chatte. Et il pense que je le suis de plus en plus.
— Peut-être veut-il dire que vous avez quelque chose d’un peu félin ?
— C’est ça, dit Minouche.
— Bien, dit le docteur. Commençons par le commencement. Parlez-moi de vos parents. Que faisait votre père ?
— Il errait, dit Minouche. Je ne l’ai pas connu. Je ne peux rien vous dire sur lui.
— Et votre mère ?
— Une grise tigrée.
— Pardon ? Le docteur la regarda fixement à travers ses lunettes.
— C’était une grise tigrée. Elle nous a quittés. Ecrasée.
— Ecrasante, marmonna le le docteur et il nota : « Mère écrasante. »
— Non, elle a été écrasée, insista Minouche.
— Mais c’est épouvantable ! s'exclama le docteur.
— Oui, les phares d’un poids lourd l’ont aveuglée. Mais cela fait très longtemps.
— Bon, continuons. Vous avez des frères et sœurs ?
— Nous étions cinq.
— Vous étiez l’aînée ?
— Nous avions tous le même âge.
— Des quintuplés donc ? ça n’arrive pas souvent.
— Mais si, dit Minouche, ça arrive tout le temps. [...]

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J'espère que ça vous a plu ! (Ça ne rend pas justice à l'original, qui est si adorablement écrit, mais j'ai dû faire de mon mieux car je n'ai pas accès à la traduction publiée.) Pour terminer, soyez sages et allez lire tout de suite cette bande dessinée (en ligne, gratuite) supérieurement intéressante.

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{Lewkowicz, Alain, Bourgeau, Vincent, Pott, Samuel, Sainsauve, Marc, Anne Frank au Pays du Manga, Arte/Subreal Productions, 2012}
{Schmidt, Annie M.G., Minoes, 1970 -- Cette mystérieuse Minouche, traduit du néerlandais par Olivier Séchan, 1989}
{Kästner, Erich, Das doppelte Lottchen, 1949 -- Deux pour une, traduit de l'allemand par René Lasne, 1950}
{Karski, Jan, Story of a Secret State. My Report to the World, 1944 -- Mon témoignage devant le monde : histoire d'un Etat clandestin, traduction de l'anglais anonyme, révisée et complétée par Céline Gervais-Francelle, 2010}
{Haenel, Yann, Jan Karski, 2009}
{Wood, E. Thomas, Jankowski, Stanislaw M., Karski: How One Man Tried to Stop the Holocaust, 1994}
{Lanzmann, Claude, Le lièvre de Patagonie, 2009}
{Demick, Barbara, Nothing to Envy: Ordinary Lives in North Korea, 2009}
{Daniel Tammet, par exemple L'Eternité dans une heure, 2013}
{Ernaux, Annie, Les années, 2008}
{Singer, Isaac Bashevis, Un jour de plaisir, traduit de l'anglais par Marie-Pierre Bay, 1979 -- A Day of Pleasure, 1969}
{Singer, Israël Joshua, Di brider Ashkenazi, 1936 -- The Brothers Ashkenazi, translated from the Yiddish by Joseph Singer, 1980 -- Les frères Ashkenazy, traduit de l'anglais par Marie-Brunette Spire et Fun a velt vos iz nishto mer, 1946 -- Of a World that Is No More, 1970 -- D'un monde qui n'est plus, traduit du yiddish par Henri Lewi, 2006}
{Roubaud, Jacques, Fuji San, publie.net, "Temps réel", 2007}
{Kakuzô, Okakura, The Book of Tea, 1906 -- Le livre du thé, traduit de l'anglais par Corinne Atlan et Zéno Bianu}

5 commentaires:

patoumi a dit…

Beaucoup de choses à dire, peut-être commencer par "Ici il neige"
D'abord que sur vos bons conseils, j'ai lu "Une femme" et que j'ai adoré. J'ai acheté le recueil Quarto, il y a plein de photos d'Annie Ernaux, de ses parents, de l'épicerie, d'Yvetot, et des extraits de journaux intimes tout à fait passionnants et touchants
Aussi que l'immodestie de Lanzmann est précisément ce qui a fini par m'agacée dans "Le lièvre de Patagonie"
Enfin que vous avez vraiment le chic pour dégoter des trucs qui font du bien (la petite traduction de la pitanalyse de Minouche, la bande dessinée etc)

Camille a dit…

J'ai vu pour la neige. Ici on a eu vraiment chaud jusqu'à mardi. Là ça va mieux, on est repassés sous 30°.

Je suis ravie que vous aimiez "Une femme" et que Minouche et la BD vous fassent du bien, d'ailleurs j'ai pensé à vous en traduisant le petit extrait. Merci de me parler du recueil Quarto que je ne connaissais même pas.

Agnèslamexicaine a dit…

J'ai surtout beaucoup aimé "La femme gelée" d'Annie Ernaux, moins "Les années" même s'il y a des passages limpides, transperçants. Je suis bien d'accord avec toi et Patoumi pour Lanzmann, mais j'ai sauté des tas de pages; cependant sa vitalité et l'intensité de sa vie racontée servent vraiment de leçon, à suivre, certains jours.
Je suis ravie de te lire.

Camille a dit…

En fait, j'ai beaucoup aimé 'Le lièvre..." au début, moins par la suite, pour diverses raisons. ça n'en reste pas moins un livre très intéressant et tu as raison pour l'intensité et la vitalité de Lanzmann, elles sont impressionnantes.

J'ai lu "La femme gelée" mais je ne m'en souviens plus très bien, zut. Pas encore acheté "Les années", j'hésite un peu après ce que tu m'en dis.

Contente aussi de te lire.

Agnèslamexicaine a dit…

Je n'avais pas vu ton post sur "une femme"; du coup j'ai très très envie de le lire. J'ai eu l'impression, à la lecture des passages que tu cites, d'avoir lu déjà ces mots; en fait j'ai beaucoup de mal à distinguer entre ses livres, comme s'il s'agissait de variations intimes... (si si, lis les Années quand même).