07/09/2011

Journal de lecture de Guerre et Paix : la famille Rostov et les affreux Berg

Dans Guerre et Paix, il y a plein, plein de personnages. Des réels comme Napoléon, le tsar Alexandre Ier, le général en chef Koutouzov ou l'homme politique Mikhaïl Speranski ; (on apprend  ainsi quelques petites choses sur les guerres napoléoniennes et la Russie tsariste  -- ça tombe bien pour moi car j'ignore tout de  cette période. Enfin, j'ai une vision très utilitariste de la littérature et j'adore apprendre en lisant, voyez-vous, ce qui est un peu ringard, j'en conviens).


Evidemment, il y a aussi des personnages fictifs, qui sont bien plus importants et curieusement plus réels que les personnages vraiment réels -- tant mieux vu le temps qu'on passe avec eux.


Prenez Natacha Rostova, par exemple : une adolescente incroyablement vivante, très intéressée par le flirt, la danse et les garçons, adorant chanter, insolente, pleine d'entrain, courant partout et qui vous fera certainement penser à certaines jeunes filles de votre connaissance. Dans la version cinématographique de Sergei Bondartchouk elle est incarnée par Lyudmila Savelyeva, qui au vu de ces images me semble assez parfaite. (Maintenant j'ai très envie de voir ce film, c'est dommage car le coffret coûte un bras.)[Note  supplémentaire sur Natacha : en fait, elle me fait aussi penser à la bondissante jeune fille de cette immortelle chanson, qui m'inspire deux autres choses : 1. Lio est vraiment trop mignonne mais alors, qu'est-ce qu'elle danse mal ; 2. Les paroles sont carrément osées ; peut-être qu'aujourd'hui on interdirait cette chanson pour incitation à la pédophilie. Qu'en pensez-vous ?]


Les Rostov (la famille de Natacha) sont une famille nombreuse, pleine de vie, de fantaisie et d'amour intergénérationnel. Ils s'opposent aux Bolkonski, de meilleure noblesse, plus fortunés mais terriblement dysfonctionnels, dépressifs et, surtout, bourrés de complexes.


Le papa de Natacha, le comte Rostov, adore recevoir et organiser des dîners chics pour ses amis. Il aime ses enfants et dépense pour eux sans compter, à vrai dire c'est un véritable panier percé qui gère très mal son argent (qu'il n'a pas vraiment gagné à la sueur de son front puisqu'il possède des terres sur lesquelles travaillent des serfs et se fait rouler dans la farine par son intendant (l'abolition du servage en Russie n'eut lieu qu'en 1861) -- c'est donc un homme socialement irresponsable). Mais bon, le comte Rostov n'est pas quelqu'un de très réfléchi, vous l'aviez compris je pense.

À part ça, Natacha a une sœur aînée, Vera, mariée à un certain Berg. Les époux Berg sont, comment dire, parfaitement stupides, ennuyeux et conformistes.


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The Bergs, having prepared everything necessary for the soirée, were ready to receive their guests.

In the new, clean, bright study, decorated with little busts, and little pictures, and new furniture, sat Berg and hiw wife. Berg, in a brand-new, buttoned-up uniform, sat beside his wife, explaining to her that one can and must have acquaintances among people above oneself, because only then can one find pleasure in one's acquaintances.
"You can imitate something, you can ask for something. Just look how I've fared since the lower ranks." (Berg reckoned up his life not in years but in imperial rewards.) "My comrades are still nobodies now, but I already occupy the post of a regimental commander, and I have the happiness of being your husband" (he got up and kissed Vera's hand, but on his way straightened the turned-back corner of the carpet). "And how have I acquired it all? Mainly by knowing how to choose my acquaintances. It goes without saying that one must be virtuous and precise."
Berg smiled with a consciousness of his superiority over a weak woman and fell silent, thinking that all the same this sweet wife of his was a weak woman, who could not comprehend all that made up the dignity of a man—ein Mann zu sein. At the same time, Vera also smiled with a consciousness of her superiority over her virtuous, good husband, who all the same understood life wrongly, as, in Vera's view, all men did. Berg, judging by his wife, considered all women weak and stupid. Vera, judging by her husband alone and extending the observation to everyone, supposed that all men ascribed reason only to themselves, and at the same time understood nothing, were proud and egoistic.
Berg got up and, embracing his wife carefully, so as not to rumple her lace pelerine, for which he had paid dearly, kissed her in the middle of the lips.
"Only we shouldn't have children too soon," he said, following an unconscious association of ideas.
"Yes," replied Vera, "I don't want that at all. One must live for society."
"That's exactly the same as Princess Yupusov wore," said Berg with a happy and kindly smile, pointing to the pelerine.
Just then the arrival of Count Bezukhov was announced. The two spouses exchanged self-satisfied smiles, each claiming silently the honour of this visit.
"That's what it means to know how to make acquaintances," thought Berg, "that's what it means to know how to behave!"
"Only, please, when I'm entertaining the guests," said Vera, "don't interrupt me, because I know how to entertain each of them and what to say in all kinds of company."
Berg also smiled.
"Impossible: sometimes men must have a male conversation," he said.

(chapitre XX de la troisième partie du deuxième volume, p. 468-469 de la traduction Pevear-Volokhonsky)

[J'adore particulièrement ein Mann zu sein (Berg est d'origine balte, donc plus ou moins germanophone) et One must live for society, d'ailleurs, la prochaine fois qu'on me demande si je veux des enfants, ce sera ma réponse.]

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photo de CK