28/04/2011

Love Nanni Moretti

Si Caro Diario n'est pas mon film favori de Nanni Moretti, il n'est quand même pas mal du tout. La  partie que je préfère (c'est un film en trois parties) est celle de la tournée dans les îles Éoliennes, où Nanni M., accompagné d'un ami érudit (un certain Gerardo qui s'est retiré à Lipari pour étudier l'Ulysse de James Joyce), recherche désespérément un havre de paix propice au travail. Lipari se révélant trop bruyante, les deux compères vont d'abord à Salina, île d'apparence inoffensive où les enfants uniques ont pris le pouvoir et interceptent toutes les communications téléphoniques et où Gerardo se prend d'une passion coupable et dévorante pour les telenovelas et les séries américaines, en particulier Amour, gloire et beauté (The Bold and the Beautiful en VO), puis à Stromboli, où ils sont accueillis par un maire passablement mégalomane et gravissent le célèbre volcan. Ils font ensuite une brève escale à Panarea, dont l'ambiance jet-set décadente les fait fuir dès leur sortie du bateau (Benvenuti a Panarea, leur souhaite de sa voix insupportablement onctueuse une svelte blonde armanienne, sans doute event organiser de profession, qui prépare une fête célébrant le mauvais goût où Helmut Berger viendra in mutande (en slip)). La croisière se termine à Alicudi, île rude et sans commodités où vivent des sortes de moines antiberlusconiens qui décrivent les Italiens comme "un des peuples les plus vulgaires du monde"* et s'éclairent à la bougie.

Gerardo, qui en vrai intellectuel transalpin parle couramment latin, n'hésite pas à citer le poète élégiaque romain Tibulle pour justifier son goût immodéré des séries.
Quam juvat inmites ventos audire cubantem [comme on aime entendre les vents sauvages alors qu'on est couché] (la traduction vient de )
J'aime bien cette idée, qui me fait penser à des vers d'un autre poète latin, Lucrèce, dans De Rerum Natura
Suave, mari magno turbantibus aequora ventis, e terra magnum alterius spectare laborem; non quia vexari quemquast jucunda voluptas, sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
[Quand les vents font tourbillonner les plaines de la mer immense, il est doux de regarder de la terre ferme le grand effort d'autrui ; non parce que le tourment de quelqu'un est un plaisir agréable mais parce qu'il est doux de discerner les maux auxquels on échappe soi-même] (traduction prise ici)

Ce que je comprends, c'est qu'on peut avoir du plaisir à regarder des choses bouleversantes et, même, la souffrance d'autrui si on a la chance d'être à l'abri, confortablement assis dans un fauteuil. C'est une idée voisine de la Schadenfreude, un mot allemand qui désigne un sentiment de joie honteuse provoqué par le malheur d'autrui et qui s'emploie beaucoup en anglais. Ce qui me permet de rebondir élégamment (hop hop) sur le fait que Gerardo, homme de goût s'il en est, aime non seulement The Bold and the Beautiful, Joyce et Tibulle, mais encore Hans Magnus Enzensberger, philosophe allemand contemporain dont le nom a une sonorité délicieusement apte à sa qualité (un peu comme la piscine d'Ixelles, qui se trouve rue de la Natation).

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*Gli Italiani sono uno dei popoli più condizionati e volgari del mondo

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l'arrivée à Panarea

Alicudi

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{Titus Lucretius Carus/Lucrèce, De Rerum Natura -- De la nature des choses}

{Albius Tibullus/Tibulle, Livre I, Elégie I}

{Caro diario/Journal intime, Nanni Moretti, 1993, Italie-France}

12/04/2011

Pymmania: Less Than Angels, and a few things you should know about the making of tea

Readers of this blog, whom I won't be presumptuous enough to call happy few (though I might accurately call them few) might know, by now, that I am an unquestioning admirer of Barbara Pym, a lovely British writer who could aptly be described as "the author of graceful comedies about the middle-class British and specifically about the world of the Anglican spinster". I know, this doesn't sound too fascinating but for some reason it is, and I love it (I also love Rammstein, by the way, a fact which has absolutely no connection with dear Barbara -- I just want you to know how eclectic I am).

I adore Barbara Pym so much that I have painstakingly collected all of her books and read them progressively. My last read is called Less Than Angels and was published in 1955.

The population of this novel is essentially made out of young anthropoly students who flirt and vie with each other for scholarships. One of the main characters is a lady writing for women's magazines, whose selfless heart and high culinary skills make her spend a lot of time feeding the aforementioned hungry and penniless students. Also present are two intellectual spinsters who share a flat, where they live "out of tins and on frozen stuff", their main interest being the advancement of science, a  missionary linguist with a bushy beard and a bad conscience, etc.

The book is consistently pymian and very funny, as you may see from the excerpt below.

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Esther Clovis had formerly been secretary of a Learned Society, which post she had recently left because of some disagreement with the President. It is often supposed that those who live and work in academic or intellectual circles are above the petty disputes that vex the rest of us, but it does sometimes seem as if the exalted nature of their work makes it necessary for them to descend occasionally and to refresh themselves, as it were, by squabbling about trivialities.
The subject of Miss Clovis' quarrel with the President was known only to a privileged few and even those knew no more than that it had something to do with the making of tea. Not that the making of tea can ever really be regarded as a petty or trivial matter and Miss Clovis did seem to have been seriously at fault. Hot water from the tap had been used, the kettle had not been quite boiling, the teapot had not been warmed...

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{Pym, Barbara, Less Than Angels, 1955 -- Moins que les anges, traduit de l'anglais par Sabine Porte, 1994}