In real life all that he can do well, it appears, is be miserable. In misery he is still top of the class. [Youth, 8]---
His refuge from IBM is the cinema. At the Everyman in Hampstead his eyes are opened to films from all over the world, made by directors whose names are quite new to him. He goes to the whole of an Antonioni season. In a film called L'Eclisse a woman wanders through the streets of a sunstruck, deserted city. She is disturbed, anguished. What she is anguished about he cannot quite define; her face reveals nothing. [Youth, 6]---
[Le héros, un jeune Sud-Africain vivant à Londres, reçoit une lettre du Home Office l'avertissant qu'il lui reste vingt et un jours pour régulariser sa situation administrative ; il devra sinon quitter le Royaume-Uni.]
There is a third option, hypothetical. He can quit his present address and melt into the masses. He can go hop-picking in Kent (one does not need papers for that), work on building sites. He can sleep in youth hostels, in barns. But he knows he will do none of this. He is too incompetent to lead a life outside the law, too prim, too afraid of getting caught. [Youth, 18]---
The more he has to do with computing, the more it seems to him like chess: a tight little world defined by made-up rules, one that sucks in boys of a certain susceptible temperament and turns them half-crazy, as he is half-crazy, so that all the time they deludedly think they are playing the game, the game is in fact playing them. [Youth, 18]---
What would have been Utopian enough for him?
The closing down of the mines. The ploughing under of the vineyards. The disbanding of the armed forces. The abolition of the automobile. Universal vegetarianism. Poetry in the streets. That sort of thing. [Summertime, "Sophie"]---
He was not at ease among people who were at ease. The ease of others made him ill at ease. [idem]---
He was not a militant. His politics were too idealistic, too Utopian for that. In fact he was not political at all. He looked down on politics. He didn't like political writers, writers who espoused a political programme. [idem]---
En lisant la magnifique pseudo-autobiographie de Coetzee, Scenes from Provincial Life, je n'ai pas arrêté de souligner des phrases et, parfois, j'avais presque l'impression que le livre parlait de moi, ou qu'il disait des choses que je pense mais ne sais pas très bien comment dire.
J'ai plus qu'aimé cette trilogie à la fois subtile et prenante, sèche et riche en émotions, pleine d'humour et d'intelligence. C'est donc une autobiographie fictionnelle, une autrebiographie, écrite (pour les deux premiers tomes) à la troisième personne et au présent de narration et racontant quelques moments dans la vie de John Coetzee : dans Boyhood, le premier tome, une partie de son enfance à Worcester et au Cap, dans l'Afrique du Sud des années 1950 (l'école, le couple dysfonctionnel formé par ses parents, la fascination pour la ferme familiale du Karoo, entre autres choses) ; dans le tome 2, Youth, les études universitaire au Cap puis, enfin, le départ pour Londres à vingt et un ou vingt-deux ans, le poste d'informaticien chez IBM, la solitude immense, la difficulté à être heureux et le sentiment de dépression qui l'envahit dans la grande ville étrangère, froide et inhospitalière dont il espérait tant ; enfin le troisième tome, le carrément fascinant Summertime, qui se présente comme la transcription d'entretiens avec cinq personnes menés par un écrivain anglais qui projette de rédiger la biographie posthume d'un John Coetzee qui ne se confond donc nécessairement pas avec l'auteur du livre, puisqu'il est mort : Julia, sa voisine à Tokai, une banlieue du Cap ; Margot, sa cousine préférée ; Adriana, danseuse brésilienne et mère d'une jeune fille à qui il enseignait l'anglais ; Martin et Sophie, deux collègues de l'université du Cap. Des extraits de journaux intimes encadrent ces témoignages qui se réfèrent tous à la même période, les années 1970, durant laquelle John Coetzee (le vrai et l'être de papier) a publié son premier livre, Dusklands.
Une liste d'idées associées à ces livres
- la question linguistique (tensions entre anglais et afrikaans, langue aimée et honteuse)
- le rapport douloureux à l'Afrique du Sud, le malaise par rapport à la question raciale et à l'apartheid
- le désir et l'ambition de devenir poète, artiste, écrivain
- la certitude d'avoir une bonne intelligence intellectuelle mais de manquer d'intelligence émotionnelle
- le don pour la tristesse
- la mère trop aimante dont il faut se séparer
- le père repoussoir
- la famille et la ferme
- le rêve naïf d'un amour parfait avec une femme qui vous révélerait comme poète et artiste (et qui ressemblerait, par exemple, à Monica Vitti ou Anna Karina)
- l'autodérision
- le cinéma "européen"
- la solitude
- la danse et l'incapacité à danser, le corps qu'on porte comme un habit inconfortable
- l'école, l'université, les études, la thèse, l'enseignement, l'éducation
- le mode de vie spartiate (frugalité, travail, lecture, cinéma)
- le caractère timide, correct, bien élevé, n'aimant pas le risque et la révolution
- le tempérament "nordique"
À noter : Boyhood, Youth puis Summertime ont été d'abord publiés séparément, respectivement en 1997, 2002 et 2009 ; ils ont ensuite été republiés ensemble en 2011, sous le titre général Scenes from Provincial Life. En français, on trouve ces livres sous les titres suivants, aux éditions du Seuil : Scènes de la vie d'un jeune garçon, traduit de l'anglais par Catherine Glenn-Lauga, Vers l'âge d'homme et L'Été de la vie, traduits par Catherine Lauga du Plessis.
6 commentaires:
Merci, Camille! Grâce à toi, j'ai découvert "Michael K, sa vie, son temps" de Coetzee que j'ai beaucoup aimé. Ca m'a fait pensé à "Bartleby"... J'ai enchaîné avec "Au coeur de ce pays" (avec une sorte de Michael K au féminin), moins réussi, je trouve. Je continue mon exploration... A +
Je suis contente que tu aimes, évidemment. Figure-toi que je n'ai pas lu "Michael K..." ; en revanche, je n'ai pas trop aimé non plus "In the Heart of the Country". Pour tes explorations futures, je te conseille "Disgrace", "Waiting for the Barbarians", "Diary of a Bad Year", et puis bien sûr la pseudo-autobiographie dont je parle au-dessus.
Et puis joyeux anniversaire, au fait.
J'ai beaucoup aimé Youth. Il faut que je me procure Summertime. Par contre, j'ai trouvé Michael K absolument déprimant. C'est un peu le problème avec Coetzee : il y a peu d'espoir dans ses livres...
C'est vrai, ce n'est pas un auteur très gai, c'est le moins qu'on puisse dire. En même temps, il y a dans la beauté de son écriture et l'intelligence de ce qu'il écrit quelque chose de presque salvateur, et une sorte d'humour sec qui fait sourire.
Après avoir lu cet article j'ai eu envie de lire cette trilogie. C'est chose faite et je suis enthousiaste. Summertime est vraiment très réussi. Tous ces entretiens, de styles différents dessinent un personnage incapable de relation profonde avec les autres, qui semble presque souffrir du syndrome d'Asperger. Est-ce vraiment comme ça que Coetzee se voit ?
J'enchaine avec Foe (qu'il évoque dans Summertime). Merci d'avoir parlé de cet auteur !
Sylvie, je suis ravie que ça vous ait autant plu. Pour moi, il y a un côté caricatural très légèrement humoristique dans cet autoportrait masqué et peu flatteur, je crois qu'il s'amuse avec le genre autobiographique. ça n'empêche pas la vérité (au moins de son regard sur lui-même). Je n'ai pas lu Foe, j'espère que vous nous direz ce que vous en pensez.
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