23/07/2013

Mettre de l'ordre et cuisiner {kasundi de tomates}


Avant, je détestais la vaisselle cassée ou abîmée, je trouvais ça laid. Il fallait que tout soit net, immaculé, sans tache et sans rature, comme mes cahiers d'écolière ou les devoirs à rendre, que je passais un temps fou à recopier et mettre au propre. C'est très frustrant car, en réalité, la vie est pleine de désordre et de choses inachevées, et puis je n'arrive jamais à aiguiser mes couteaux correctement (malgré l'achat d'une pierre japonaise néanmoins utile à la fabrication des anches d'hautbois).

Mais je progresse. Il y a quelques semaines, j'ai été désolée quand ma théière en porcelaine a perdu son bec. Finalement, elle me plaît de plus en plus comme ça.

Une maison ordonnée, sans ratures et sans bris, me donne l'espoir d'une vie organisée, d'idées claires et nettes. Ou peut-être est-ce une illusion assez grossière, qui me fait prendre l'apparence pour l'essence ?
Cuisiner est peut-être une manière de mettre de l'ordre dans le chaos, ou de lui donner une forme. Il y a un an, mes amies Mij et Sue m'ont présenté le kasundi, un condiment indien à base de tomates, piments, épices et huile, que j'ai immédiatement trouvé délicieux. À part le servir avec vos currys, ce qui constitue la chose la plus évidente à faire, vous pouvez aussi l'étaler en fine couche sur une tartine de pain ou le proposer avec des pâtes, du riz, un œuf au plat ou un plat de lentilles (quand j'entends "plat de lentilles", je pense aussitôt "biblique"). Ça pique un peu (ou beaucoup), c'est acide, légèrement sucré et vraiment très savoureux. Je pourrais même dire que c'est addictif (avez-vous remarqué comme ce mot issu du domaine de la toxicomanie est devenu populaire lorsqu'on parle de nourriture ? C'en est devenu un cliché assez agaçant, tout ou presque étant "addictif"). [Pour ne pas faillir à ma réputation de grincheuse passéiste conservatrice : un jour, je ferai ici-même une liste commentée des usages linguistiques à la mode qui m'énervent.]

Je craignais un peu de publier une recette ici. Pourtant, j'en ai déjà eu envie, peut-être parce que, parfois, j'aimerais tenir un carnet de cuisine et de do it yourself illustré de jolies photos lumineuses, loin de l'austérité un peu ennuyeuse qui transperce sur ces pages. Même si j'aime vraiment beaucoup Coetzee (que je ne trouve décidément pas sans espoir parce que, j'en parlais l'autre jour avec Paul, il y a dans son écriture une telle empathie pour l'homme (et la femme)) et que j'ai vraiment envie, un jour, de lire Montaigne, j'aime aussi faire des tartes, des confitures et d'autres trucs, comme tricoter des mitaines, un bonnet un peu afghan pour mon mari, un cardigan ravissant pour Gaspard ou une écharpe en Noro Silk Garden (laine japonaise qui coûte les yeux de la tête) (message personnel : les amis, c'est le moment de passer commande, je suis (enfin) passée à la vitesse supérieuse ; et puis si vous avez des enfants c'est très bien car j'adore tricoter pour les tout-petits).

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Venons-en à la recette :

Pour un nombre raisonnable de pots (c'est-à-dire que vous pourrez en donner un (ou deux) et qu'il en restera encore un peu pour vous -- évidemment si vous utilisez des pots énormes ce ne sera peut-être pas le cas), il vous faudra deux kilogrammes de tomates, mûres évidemment. Attendez la fin de l'été. Il faut aussi environ vingt piments frais, rouges ou verts, moi j'ai utilisé des rouges de forme allongée mais d'autres variétés feront certainement aussi l'affaire. On peut, selon sa tolérance au piquant, ajouter encore une cuillère à café de piment en poudre (ou même plus), ça dépend de vos goûts, de votre éducation et de vos habitudes culturelles.

Tout commence par des graines de moutarde. Certains disent noires, d'autres jaunes, donc moi j'ai mélangé les deux, mais c'est peut-être mieux de s'en tenir à une sorte (mais alors laquelle ? je ne sais pas). En tout cas, il en faut une cuillère à soupe et demie, que vous mettrez à tremper dans 300 ml de vinaigre. Là encore, le choix du vinaigre s'avère compliqué. Une recette préconisait du vinaigre blanc, l'autre du vinaigre de malt. Faites au mieux et selon ce que vous avez. Les graines trempent assez longtemps, disons une nuit, dans le vinaigre. Le lendemain, elles se seront ramollies, et vous passerez l'amère mixture au blender, avec un gros morceau de gingembre pelé et vingt gousses d'ail épluchées. Ça donne une sorte de purée assez liquide.

Vous devez maintenant hacher fin les piments ; pour les graines c'est vous qui voyez, moi je ne les enlève pas, c'est contraignant et pas vraiment nécessaire. Vous devez aussi éplucher les tomates, ça c'est la plaie, faites comme bon vous semble (ébouillantez-les, utilisez votre économe à fruits mous, etc.) ; ensuite, coupez-les en gros morceaux et laissez-les égoutter dans une passoire.  

Pendant ce temps, faites chauffer 120 ml d'huile neutre dans une grande casserole à bords hauts. C'est ici que les choses se corsent : selon une des recettes que j'ai consultées, il faut que l'huile soit très chaude, et même carrément fumante, ce qui est potentiellement dangereux et pourrait déclencher votre alarme incendie (ça sent le vécu). Quand c'est chaud, donc, jetez précautionneusement 1,5 cuillère à soupe de curcuma moulu, 4 de cumin également moulu, la quantité de piment en poudre choisie si vous en utilisez. Faites frire les épices en faisant attention aux projections. Ce qui est chouette, c'est que ça sent bon, et globalement c'est un processus assez excitant. Ajouter les tomates égouttées, les piments frais hachés, la mixture vinaigrée, 120 grammes de sucre et une cuillère à café de sel fin. Laissez mijoter longtemps (plusieurs heures), jusqu'à ce que l'huile remonte à la surface et que la préparation ait épaissi. Goûtez pour ajuster la quantité de sel et mettez en pot. Attendez un peu avant de consommer.

Cette recette est un mélange de celles trouvées dans A Year in a Bottle de Sally Wise (sous le nom de Tomato Chilli Pickles) et dans un ouvrage général sur la "cuisine asiatique" dont j'ai oublié le titre ; il s'agit peut-être de The Complete Asian Cookbook de Charmaine Solomon, dans lequel elle apparaissait sous le nom de Tamatar Kasaundi.

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